8. МАРКО ЯКУБОВИЧ

   У ворот сидел Марко Якубович;
Перед ним сидела его Зоя,
А мальчишка их играл у порогу.
По дороге к ним идет незнакомец,
Бледен он и чуть ноги волочит,
Просит он напиться, ради бога.
Зоя встала и пошла за водою,
И прохожему вынесла ковшик,
И прохожий до дна его выпил,
Вот, напившись, говорит он Марке:
"Это что под горою там видно?"
Отвечает Марко Якубович:
"То кладбище наше родовое".
Говорит незнакомый прохожий:
"Отдыхать мне на вашем кладбище,
Потому что мне жить уж не долго".
Тут широкий розвил он пояс,
Кажет Марке кровавую рану.
"Три дня, - молвил, - ношу я под сердцем
Бусурмана свинцовую пулю.
Как умру, ты зарой мое тело
За горой, под зеленою ивой.
И со мной положи мою саблю,
Потому что я славный был воин".

   Поддержала Зоя незнакомца,
А Марко стал осматривать рану.
Вдруг сказала молодая Зоя:
"Помоги мне, Марко, я не в силах
Поддержать гостя нашего доле".
Тут увидел Марко Якубович,
Что прохожий на руках ее умер.

   Марко сел на коня вороного,
Взял с собою мертвое тело
И поехал с ним на кладбище.
Там глубокую вырыли могилу
И с молитвой мертвеца схоронили.
Вот проходит неделя, другая,
Стал худеть сыночек у Марка;
Перестал он бегать и резвиться,
Всё лежал на рогоже да охал.
К Якубовичу калуер приходит, -
Посмотрел на ребенка и молвил:
"Сын твой болен опасною болезнью;
Посмотри на белую его шею:
Видишь ты кровавую ранку?
Это зуб вурдалака (19) , поверь мне".

   Вся деревня за старцем калуером
Отправилась тотчас на кладбище;
Там могилу прохожего разрыли,
Видят, - труп румяный и свежий, -
Ногти выросли, как вороньи когти,
А лицо обросло бородою,
Алой кровью вымазаны губы, -
Полна крови глубокая могила.
Бедный Марко колом замахнулся,
Но мертвец завизжал и проворно
Из могилы в лес бегом пустился.
Он бежал быстрее, чем лошадь,
Стременами острыми язвима;
И кусточки под ним так и гнулись,
А суки дерев так и трещали,
Ломаясь, как замерзлые прутья.

   Калуер могильною землею (20)
Ребенка больного всего вытер,
И весь день творил над ним молитвы.
На закате красного солнца
Зоя мужу своему сказала:
"Помнишь? ровно тому две недели,
В эту пору умер злой прохожий".

   Вдруг собака громко завыла,
Отворилась дверь сама собою,
И вошел великан, наклонившись,
Сел он, ноги под себя поджавши,
Потолка головою касаясь.
Он на Марка глядел неподвижно,
Неподвижно глядел на него Марко,
Очарован ужасным его взором;
Но старик, молитвенник раскрывши,
Запалил кипарисную ветку,
И подул дым на великана.
И затрясся вурдалак проклятый,
В двери бросился и бежать пустился,
Будто волк, охотником гонимый.

   На другие сутки в ту же пору
Пес залаял, дверь отворилась,
И вошел человек незнакомый.
Был он ростом, как цесарский рекрут.
Сел он молча и стал глядеть на Марко;
Но старик молитвой его прогнал.

   В третий день вошел карлик малый, -
Мог бы он верьхом сидеть на крысе,
Но сверкали у него злые глазки.
И старик в третий раз его прогнал,
И с тех пор уж он не возвращался.

   (18) Мериме поместил в начале своей Guzla известие о старом гусляре
Иакинфе Маглановиче;  неизвестно,  существовал ли он когда-нибудь;  но
статья  его  биографа  имеет  необыкновенную прелесть оригинальности и
правдоподобия.  Книга Мериме редка, и читатели, думаю, с удовольствием
найдут здесь жизнеописание славянина-поэта.

Notice sur Hyacinthe Maglanovich.

   Hyacinthe Maglanovich est le seul joueur de guzla que j'aie vu, qui
fыt aussi poиte;  car la  plupart  ne  font  que  rйpйter  d'anciennes
chansons,  ou  tout  au plus ne composent que des pastiches en prenant
vingt vers d'une ballade,  autant d'une autre,  et liant  le  tout  au
moyen de mauvais vers de leur faзon.
   Notre poиte est nй а Zuonigrad,  comme il le dit lui-mкme  dans  sa
ballade intitulйe L'Aubйpine de Veliko. Il йtait fils d'un cordonnier,
et ses parents ne semblent pas s'кtre donnй beaucoup de mal  pour  son
йducation,  car  il ne sait ni lire ni йcrire.  A l'вge de huit ans il
fut enlevй par des tchingйnehs ou bohйmiens.  Ces gens le menйrent  en
Bosnie, oъ ils lui apprirent leurs tours et le convertirent sans peine
а l'islamisme,  qu'ils professent pour la plupart  [tous  ces  dйtails
m'ont  йtй donnйs en 1817 par Maglanovich lui-mкme].  Un ayan ou maire
de Livno le tira de leurs mains et le prit а son service,  oъ il passa
quelques annйes.
   Il avait  quinze  ans,  quand  un  moine  catholique  rйussit  а le
convertir au christianisme,  au risque de se faire empaler s'il  йtait
dйcouvert;   car   les  Turcs  n'encouragent  point  les  travaux  des
missionnaires.  Le jeune Hyacinthe n'eut pas de peine а se  dйcider  а
quitter  un  maоtre  assez dur,  comme sont la plupart des Bosniaques;
mais,  en se sauvant de sa maison,  il voulut tirer vengeance  de  ses
mauvais  traitements.  Profitant  d'une  nuit  orageuse,  il sortit de
Livno,  emportant une pelisse et le sabre de son maоtre, avec quelques
sequins   qu'il   put   dйrober.  Le  moine,  qui  l'avait  rйbaptisй,
l'accompagna dans sa fuite, que peut-кtre il avait conseillйe.
   De Livno а Scign en Dalmatie il n'y a qu'une  douzaine  de  lieues.
Les fugitifs s'y trouvиrent bientфt sous la protection du gouvernement
vйnitien et а l'abri des poursuites de l'ayan. Ce fut dans cette ville
que Maglanovich fit sa premiиre chanson:  il cйlйbra sa fuite dans une
ballade, qui trouva quelques admirateurs et qui commenзa sa rйputation
[j'ai fait de vains йfforts pour me la procurer.  Maglanovich lui-mкme
l'avait oubliйe,  ou peut-кtre eut-il honte de me rйciter  un  premier
essai dans la poйsie].
   Mais il йtait sans ressources  d'ailleurs  pour  subsister,  et  la
nature  lui  avait  donne  peu  de  goыt  pour  le  travail.  Grвce  а
l'hospitalitй morlaque,  il vйcut quelque  temps  de  la  charitй  des
habitants  des  campagnes,  payant  son  йcot en chantant sur la guzla
quelque vieille romance qu'il savait par coeur.  Bientфt il en composa
lui-mкme  pour  des  mariages  et des enterrements,  et sut si bien se
rendre nйcessaire, qu'il n'y avait pas de bonne fкte si Maglanovich et
sa guzla n'en йtaient pas.
   Il vivait ainsi dans les environs de Scign, se souciant fort peu de
ses parents,  dont il ignore encore le destin, car il n'a jamais йtй а
Zuonigrad depuis son enlйvement.
   A vingt-cinq  ans c'йtait un beau jeune homme,  fort,  adroit,  bon
chasseur et de plus poиte et musicien cйlиbre;  il йtait  bien  vu  de
tout le monde,  et surtout des jeunes filles. Celle qu'il prйfйrait se
nommait Marie et йtait fille d'un riche morlaque,  nommй  Zlarinovich.
Il gagna facilement son affection et, suivant la coutume, il l'enleva.
Il avait pour rival une espиce de  seigneur  du  pays,  nommй  Uglian,
lequel  eut  connaissance  de  l'enlиvement  projetй.  Dans les moeurs
illyriennes l'amant dйdaignй se console facilement et  n'en  fait  pas
plus mauvaise mine а son rival heureux; mais cet Uglian s'avisa d'кtre
jaloux et voulut mettre obstacle au bonheur de Maglanovich. La nuit de
l'enlйvement,  il  parut  accompagnй  de  deux de ses domestiques,  au
moment oъ Marie йtait dйjа montйe sur un cheval et prкte а suivre  son
amant.  Uglian  leur cria de s'arrкter d'une voix menaзante.  Les deux
rivaux йtaient armйs suivant l'usage.  Maglanovich tira le premier  et
tua le seigneur Uglian.  S'il avait eu une famille, elle aurait йpousй
sa querelle,  et il n'aurait pas quittй le pays pour si peu de  chose;
mais  il йtait sans parents pour l'aider,  et il restait seul exposй а
la  vengeance  de  toute  la  famille  du  mort.  Il  prit  son  parti
promptement  et  s'enfuit  avec  sa  femme  dans les montagnes,  oщ il
s'associa avec des heyduques [espиce de bandits].
   Il vйcut  longtemps avec eux,  et mкme il fut blessй au visage dans
une escarmouche avec les pandours [soldats de la police]. Enfin, ayant
gagnй  quelque  argent d'une maniиre assez peu honnкte,  je crois,  il
quitta les montagnes,  acheta des bestiaux et vint s'йtablir  dans  le
Kotar  avec  sa  femme  et  quelques  enfants.  Sa  maison est prиs de
Smocovich,  sur le bord d'une petite riviйre ou d'un torrent,  qui  se
jette  dans  le  lac  de Vrana.  Sa femme et ses enfants s'occupent de
leurs vaches et de leur petite ferme; mais lui est toujours en voyage;
souvent  il  va  voir  ses anciens amis les heyduques,  sans toutefois
prendre part а leur dangereux mйtier.
   Je l'ai  vu а Zara pour la premiиre fois en 1816.  Je parlais alors
trиs facilement l'illyrique, et je dйsirais beaucoup entendre un poиte
en  rйputation.  Mon  ami,  l'estimable  voivode Nicolas * * *,  avait
rencontrй а Biograd,  oъ  il  demeure,  Hyacinthe  Maglanovich,  qu'il
connaissait  dйjа,  et  sachant qu'il allait а Zara,  il lui donna une
lettre pour moi.  Il me disait que,  si je voulais tirer quelque chose
du  joueur  de guzla,  il fallait le fair boire;  car il ne se sentait
inspirй que lorsqu'il йtait а peu prиs ivre.
   Hyacinthe avait  alors prиs de soixante ans.  C'est un grand homme,
vert  et  robuste  pour  son  вge,  les  йpaules  larges  et  le   cou
remarquablement gros;  sa figure est prodigieusement basanйe; ses yeux
sont petits et un peu relevйs du coin; son nez aquilin, assez enflammй
par  l'usage  des liqueurs fortes,  sa longue moustache blanche et ses
gros sourcils noirs forment un ensemble que l'on oublie  difficilement
quand  on  l'a vu une fois.  Ajoutez а cela une longue cicatrice qu'il
porte sur le sourcil et sur  une  partie  de  la  joue.  Il  est  trиs
extraordinaire   qu'il  n'ait  pas  perdu  l'oeil  en  recevant  cette
blessure.  Sa tкte йtait rasйe, suivant l'usage presque gйnйral, et il
portait  un  bonnet d'agneau noir:  ses vкtements йtaient assez vieux,
mais encore trиs propres.
   En entrant  dans  ma  chambre,  il me donna la lettre du voivode et
s'assit sans cйrйmonie.  Quand j'eus fini de lire:  vous  parlez  donc
l'illyrique,  me  dit-il  d'un  air  de doute assez mйprisant.  Je lui
rйpondis sur-le-champ dans cette langue que je l'entendais assez  bien
pour  pouvoir  apprйcier  ses chansons,  qui m'avaient йtй extrкmement
vantйes. Bien, bien dit-il; mais j'ai faim et soif: je chanterai quand
je serai rassasiй.  Nous dinвmes ensemble.  Il me semblait qu'il avait
jeыnй quatre jours au moins,  tant il mangeait avec  aviditй.  Suivant
l'avis  du  voivode,  j'eus soin de le faire boire,  et mes amis,  qui
йtaient venus nous tenir  compagnie  sur  le  bruit  de  son  arrivйe,
remplissaient  son  verre  а chaque instant.  Nous espйrions que quand
cette faim et cette soif si extraordinaires seraient  apaisйes,  notre
homme  voudrait  bien  nous faire entendre quelques uns de ses chants.
Mais notre attente fut bien trompйe.  Tout d'un coup  il  se  leva  de
table  et  se laissant tomber sur un tapis prиs du feu (nous йtions en
dйcembre),  il s'endormit en moins de cinq minutes,  sans qu'il y  eыt
moyen de le rйveiller.
   Je fus plus heureux,  une autre fois:  j'eus soin de le faire boire
seulement  assez pour l'animer,  et alors il nous chanta plusieurs des
ballades que l'on trouvera dans ce recueil.
   Sa voix a dы кtre fort belle;  mais alors elle йtait un peu cassйe.
Quand il chantait sur sa guzla,  ses yeux  s'animaient  et  sa  figure
prenait  une  expression  de beautй sauvage,  qu'un peintre aimerait а
exprimer sur la toile.
   Il me  quitta  d'une faзon йtrange:  il demeurait depuis cinq jours
chez moi,  quand un matin il  sortit,  et  je  l'attendis  inutilement
jusqu'au  soir.  J'appris  qu'il  avait quttй Zara pour retourner chez
lui;  mais en mкme temps je m'aperзus qu'il me manquait une  paire  de
pistolets anglais qui, avant son dйpart prйcipitй, йtaient pendus dans
ma chambre.  Je dois dire  а  sa  louange  qu'il  aurait  pu  emporter
йgalement  ma bourse et une montre d'or qui valaient dix fois plus que
les pistolets, qu'il m'avait pris.
   En 1817  je  passai deux jours dans sa maison,  oщ il me reзut avec
toutes les marques de la joie la plus  vive.  Sa  femme  et  tous  ses
enfants  et petits-enfants me sautиrent au cou et quand je le quittai,
son fils aоnй me servit de guide dans les montagnes pendant  plusieurs
jours,  sans  qu'il  me  fыt  possible  de  lui faire accepter quelque
rйcompense.
   (19) Вурдалаки,  вудкодлаки,  упыри,  мертвецы,  выходящие из своих
могил и сосущие кровь живых людей.
   (20) Лекарством от укушения упыря служит земля, взятая из его могилы.